C'était il y a 146 jours. J'avais enfin décidé de me prendre en main en me rendant au centre des impôts pour mettre à jour mon statut. Il était tôt, tout le monde avait la tête dans le cul, et Nadine m'avait enfermée dans une petite pièce angoissante avec un stylo bic pendant qu'elle allait se faire un café.
C'était passionnant comme un épisode de Derrick en stop motion. Manque de bol, ce jour-là, la machine à café du centre des impôts du 16ème arrondissement de Paris était en panne. Tout part de là. C'est Nadine qui m'avait raconté cette histoire terrible de machine à café en panne, tout en tapant sur son ordinateur ma déclaration d'activité de scénariste. Nous avions bien rigolé ensemble. En ressortant du bâtiment, j'étais fière de moi, je pensais que tout était terminé.
Il y a 52 jours, la dame de la pharmacie m'annonce qu'il y a un problème avec ma carte vitale. Quel type de problème ? Je l'ignore. Toujours est-il que 7 jours plus tard, je me mets à recevoir des chèques du RSI (régime social des indépendants, je vous souhaite de ne jamais les connaître). Sachant que je ne dépends plus du RSI depuis 2 ans, ça sent la couille dans le potage, mais en même temps, ça m'offre un statut de riche rentière.
Il y a 44 jours j'appelle l'AGESSA (régime social des auteurs) pour leur demander à quel dieu que je dois adresser mes sacrifices de jeunes vierges rousses afin d'enfin dépendre d'eux et ainsi aligner les planètes avec ma Carte Vitale. Ils me répondent que je dois leur fournir un justificatif de blablabla et aussi un machin de blablabla et un papier qui dit que je suis radiée de l'URSSAF. A l'URSSAF on me dit que je suis radiée, mais qu'à moitié, et que la création de mon nouveau statut a réactivé mon ancien statut, ce qui est visiblement une erreur informatique, mais qu'ils ne peuvent rien y faire. Je demande : je fais quoi ? Ils répondent : ben…
Il y a 41 jours, après avoir passé 72 heures prostrée sur un canapé à fixer le vide avec ma casio fx 92 à la main, je me rends chez un comptable.
Le comptable, pour un auteur qui a des problèmes de statut, d'impôts et de sécurité sociale, c'est comme un psy en mieux. Il commence par me parler d'une voix douce et me faire un dessin pour les débiles. Voici la chose:
Sachez que ce document illisible est, malgré les apparences, l'explication la plus claire de ma situation qui ne m'ait jamais été fournie.
Allongée sur son canapé, je lui raconte ensuite mon histoire de RSI qui me rembourse depuis que je ne dépends plus d'eux alors que lorsque je cotisais chez eux ils se contentaient de m'envoyer des huissiers. Il dédramatise totalement cette situation que je pensais catastrophique en me conseillant de laisser tomber jusqu'à ce qu'il règle cela directement avec l'AGESSA, laquelle a besoin de ma déclaration de revenus 2011 pour m'affilier. Donc, précise-t-il, comme vous êtes en quelque sorte morte administrativement jusqu'en juillet, évitez de vous péter une jambe ou de tomber enceinte.
Nous rigolons ensemble.
Pour l'anecdote, quinze jours après ce rendez-vous, je me faisais une entorse cervicale et écopais de 30 séances de kiné non remboursées. Je rigolais toute seule.
Après avoir fini de blaguer sur le RSI, le comptable vérifie mes facturations de l'année passée, et en arrive à mon statut. Je suis fière parce que pour une fois j'ai fait les choses bien : je dégaine mon papier de l'Insee.
- Vous êtes sculpteur donc ?
- Pardon ?
- "Création artistique relevant des arts plastiques"... C'est écrit.
- Mais non…
- Mais si. J'ai une théorie… Au centre des impôts, vous avez dit scénariste, ils ont tapé "sc" dans l'ordinateur, ça a sorti sculpteur et paf vous êtes sculpteur.
- C'est donc ça, la réorientation de carrière ?
- C'est pas grave, mais réglez ça avec le centre des impôts avant qu'on ne s'occupe de votre déclaration de revenus, sinon ça va être le bordel.
Je m'en occupe dès demain ! avais-je lancé avant de tenter de lui rouler une pelle tellement ce rendez-vous avait été excitant.
Il y a 6 jours, je reçois mon formulaire de déclaration de revenus et décide de m'occuper du sculpteur. Cela consiste à appeler le centre des impôts pour leur dire qu'ils ont fait une erreur dans mon code APE (c'est le bouzin avec le code de ton métier). Miraculeusement, je tombe sur un humain direct.
- Bonjour, j'appelle parce que vous avez fait une erreur dans mon code APE.
- Vous avez fait une erreur dans votre code APE ?
- Vous avez fait une erreur dans mon code APE.
- Vous avez fait une erreur dans votre code APE.
- Ok… J'ai fait une erreur dans mon code APE, et maintenant je suis sculpteur.
- Très bien et… Quel est le problème ?
- Ben je suis scénariste.
- Ah donc vous renoncez à la sculpture ?
- J'ai jamais été sculpteur.
- Mais alors pourquoi avoir déclaré une activité de sculpteur ?
- Mais… C'est possible de juste changer mon code APE ?
- Ah non, faut voir ça avec l'Insee.
Comme je suis bouillante, je compose le numéro de l'Insee dans la foulée, avec un peu d'émotion, car c'est ma première fois à l'Insee. Je tape le 2, puis le 1, puis le étoile, puis le 1, puis ça raccroche, donc je recommence, 2, 1, étoile, 1, recommence, 2, 1, étoile, 1, et là je perds un tympan.
Il y a quelques semaines, j'avais vu un documentaire sur le siège de Waco. Les membres de la secte de David Koresh, les davidiens, étaient retranchés dans une ferme du Texas de laquelle l'ATF (Bureau fédéral des alcools, tabacs, armes à feu et explosifs ; les flics, quoi) avait tenté de les déloger par tous les moyens, notamment en diffusant dans des hauts-parleurs géants des sons particulièrement désagréables censés les empêcher de dormir, les rendre fous et les pousser à sortir (finalement ils sont tous morts cramés à l'intérieur). Dans ces sons, on retrouvait notamment le cri du lapin.
Et bien à l'Insee, ils ont recyclé l'idée en ayant une musique d'attente à base de cri du lapin histoire de faire fuir les gens qui voudraient les faire chier en changeant de code APE. Je saigne du nez et des oreilles, quand soudain : un conseiller.
- ALLO ?!
(Tu parles très fort après 4 minutes de cri du lapin)
- Oui ?
- JE SUIS BIEN À L'INSEE ?
- Oui.
- JE VOUDRAIS CHANGER MON CODE APE !
- Il n'y a pas de conseiller disponible ce matin.
- MAIS VOUS ÊTES CONSEILLER, NON ?
- Oui.
- ALORS CONSEILLEZ-MOI.
- Ok… C'est quoi le problème ?
- LE CENTRE DES IMPÔTS A FAIT UNE ERREUR AVEC MON CODE APE.
- Vous avez fait une erreur avec votre code APE.
- SI VOUS VOULEZ. J'AI FAIT UNE ERREUR AVEC MON CODE APE, TOUJOURS EST IL QUE LÀ JE SUIS SCULPTEUR ET PAS SCÉNARISTE, CE QUI FAIT QUE J'AI PLUS DE SÉCU ET QUE PAR EXEMPLE JE PEUX PAS TOMBER ENCEINTE.
- Vous renoncez à la sculpture pour avoir un enfant ?
- NON J'AI JAMAIS ÉTÉ SCULPTEUR !
- Vous avez fait une fausse déclaration d'activité à votre centre des impôts ? Vous cherchez à frauder l'AGESSA ?
- NON JE CHERCHE À PAYER L'AGESSA ! JE SAIS, C'EST FOUFOU.
- …
- JE SUIS SCÉNARISTE MAIS PAS ENCEINTE, VOYEZ ? ALLO ?... ALLO ?
Elle avait raccroché. Je suis allée sur mon balcon, j'ai fixé le lointain et je me suis demandé: C'est quoi le plus compliqué : me niquer la deuxième et dernière oreille en me retapant le cri du lapin ou bien devenir sculpteur ?
Nous sommes dans 3 700 jours, un soir de vernissage. Je sirote un jus de grenade (j'ai arrêté l'alcool en 2014 suite au "drame du chaton endormi sur le fauteuil que j'avais pas vu avant de m'assoir"), un journaliste s'approche de moi.
- ioudgine votre oeuvre est formidable. Comment êtes-vous devenue sculpteur-milliardaire ?
- PARDON ? VOUS POUVEZ PARLER DANS MON AUTRE OREILLE ? J'AI UN PROBLÈME AVEC CELLE-CI DEPUIS 10 ANS.
- JE DISAIS: IOUDGINE VOTRE OEUVRE EST FORMIDABLE ! COMMENT ÊTES-VOUS DEVENUE SCULPTEUR-MILLIARDAIRE ?
- Oh c'est une anecdote très rigolotte, c'est à cause de Nadine du centre de impôts qui avait la tête dans le cul au moment de rentrer mon code APE dans l'ordinateur.
- C'est pour cela que vous sculptez des têtes dans des culs ?
- Absolument.
- C'est génial.
- Oui. En revanche j'ai toujours pas de sécu.
- Vous vous en cognez, vous êtes milliardaire !
- Ah mais oui ! C'est vrai !
Et nous rigolerons ensemble. Dans 3 700 jours.
Comme quoi Arriver à la fortune dépend d'un système totalement irrationnel. Bien vu.
Rédigé par : Axel Nader | lundi 14 mai 2012 à 09:08
Ceci dit Nadine elle n'avait pas tort, tu es un peu un sculpteur des mots et des phrases...
Oui je sais c'est naze mais ça peut aider à te reconciler avec ton statut!
Rédigé par : Benoit | lundi 14 mai 2012 à 09:18
Bienvenue chez les dingues !
Rédigé par : Abracadacraft | lundi 14 mai 2012 à 09:21
J'ai une bonne nouvelle.
Nadine (des impôts) a fait une grave dépression.
Motif : le bouton "café sans sucre" de la machine à café réparée délivre maintenant du café "avec sucre".
Actuellement, Nadine "des impôts" est en maison de repos et inscrite pour le stage de sculpture.
NB : la maison de repos cherche une sculptrice pour donner des cours...
Rédigé par : zut | lundi 14 mai 2012 à 10:12
ah ah on partage plein de truc toi et moi. Par exemple, je suis auto entrepreneur depuis 3 ans mais je facture jamais rien, du coup, ma sécu était prise sur mon non statut de chômeuse. J'ai déménagé, j'ai voulut (conne conne conne) rapatrier mon dossier CPAM dans ma nouvelle ville et là ... bug... ils savent plus si je suis affiliée au RSI (ce que je suis) ou si je suis pôle emploieuse (ce que je suis aussi, mais que je leur dit que j'ai un emploi depuis 18 mois et que donc, je suis couverte par eux, là bah ils comprennent plus rien et ils raccrochent.
Du coup je pourrit de l'intérieur et je fais très attention à la qualité de mes capotes ;)
Bon courage
Rédigé par : Betty | lundi 14 mai 2012 à 10:46
Courage ! Moi aussi je suis une victime du code APE !
Alors infographiste depuis 97, j'ai eu l'étrange surprise de découvrir il y a peu que j'étais passé "organisateur de spectacles" / "Funambule de rue" ....
Bon euh moi je m'en fous, mais bon ...
Rédigé par : Ju | lundi 14 mai 2012 à 11:08
Haha ce que j'ai ri !
Si ça peut te rassurer on a tous le même genre de problème avec les mêmes administrations.
Le Centre des Impôts, le RSI/la RAM, l'URSSAF et l'INSEE = créations du diable.
Rédigé par : TomTominou | lundi 14 mai 2012 à 11:50
Sauf moi je me dépasse pas, j'appelle pas non plus (trop peur), j'envoie des courriers auxquels ils répondent pas, donc je renvoie en recommandé un mois plus tard, auxquels ils répondent en m'appelant (merde)...
Rédigé par : TomTominou | lundi 14 mai 2012 à 11:52
*déplace
Rédigé par : TomTominou | lundi 14 mai 2012 à 11:53
Pour tout changement de code APE --> http://www.insee.fr/fr/publications-et-services/default.asp?page=services/faq/q43_1codeape.htm
Rédigé par : S. | lundi 14 mai 2012 à 13:02
"Mme". Ca y est tous mes rêves se sont envolés :)
Rédigé par : Nojohn | lundi 14 mai 2012 à 16:24
Merci pour le bon fou rire intérieur de la journée.
Je confirme, le RSI gagne le trophée de l'organisme social le plus kafkaïen. Pourquoi persistent-ils à m'envoyer des chèques dont le montant est 2 fois inférieur au prix que doit leur coûter cet envoi ?
Bon courage dans cette nouvelle vocation de sculpteur, en tout cas !
Rédigé par : Maud | lundi 14 mai 2012 à 17:20
:D Sérieusement je suis pliée! J'ai tellement rigolé sur celui là! Vivement le prochain article, je sais que je demande l'impossible (mais l'impossible devient possible avec coca cola zéro), tu pourrais publier un peu plus souvent?
Sinon, c'est super, continue comme ça!
Rédigé par : Jujuzz | lundi 14 mai 2012 à 17:24
je t'aime Ioudgine !! si tu veux on s'épouse ! j'ai déjà des enfants, ça t'évitera de devoir tomber enceinte !
Rédigé par : Amandine | lundi 14 mai 2012 à 18:57
Tous les intermittents du spectacle de France t'apportent leur soutien chaleureux.
C'était déjà sportif les Assedic et l'Anpe spectacle mais depuis la fusion-création de Pôle Emploi, un vrai pas vers l'abstraction totale a été franchi.
Rédigé par : zlatko | lundi 14 mai 2012 à 21:41
t'es pas sculpteur t'es auteur et Nadine est ignare... qui ne connait pas ton blog ne connait rien de la vie, rien !
rhâââââ (je suis tombée en pâmoison)
Rédigé par : Maïpi | lundi 14 mai 2012 à 21:43
Vous avez l'air de beaucoup rigoler quand même, avec Nadine, avec votre comptable, avec votre kiné (ah non pas lui, ou alors pas cette fois), avec vos futurs fans...
A la lecture de ce billet fort sympathique, il apparaît comme une solution, une sorte de bruit blanc du cri du lapin : si la cause de tous ces maux provient des gens qui ont la tête dans le cul, il faudrait peut-être voir à envoyer tout le monde au lit dès le coucher du soleil.
Un esprit sain dans un corps sain, qu'ils disaient.
(Je passe sous silence la fausse solution du café ou du thé > drogue / commerce pas toujours équitable / toujours le risque de tomber sur un robusta imbuvable / jamais de Georges Clooney pour venir mettre sa dosette dans l'orifice de votre machine
, ... what else ?)
Bien cordialement,
Rédigé par : Etazuni | lundi 14 mai 2012 à 22:45
Tout simplement génial !
Rédigé par : Denis | mardi 15 mai 2012 à 10:10
je glousse comme une dinde au bureau et j´adore ca!
Rédigé par : Artémiss | mardi 15 mai 2012 à 12:41
Je n'avais pas rigolé comme ça depuis un bon moment : pourtant c'est tragique et beaucoup moins drôle à vivre qu'à lire. Merci pour ce compte rendu GRANDIOSE ! :))))
Rédigé par : emmel | mardi 15 mai 2012 à 14:19
Déjà la "maison qui rend fou" avait résumé ta situation. Ceci dit, je n'ai jamais eu un seul problème avec les administrations quelles qu'elles soient. *touche du bois*
La conversation avec le type des impôts m'a tué cela dit.
Rédigé par : Hubert | mardi 15 mai 2012 à 15:28
"me niquer la deuxième et dernière oreille en me retapant le cri du lapin ou bien devenir sculpteur ?"
Merci pour la petite pause, j'ai bien rigolé et en même temps ça sent tellement notre époque tout cela. Excellent scénario pour une BD ou un BREF à la canal
Bon courage
Rédigé par : Denis | mardi 15 mai 2012 à 15:36
Je me sens moins seule! Je me demande comment on devient une Nadine. Y a des écoles? Parce que il y en a partout! Au secours!
Rédigé par : val | mardi 15 mai 2012 à 20:41
C'est drôle. Bravo.
Je me permets, mesurant ma folle outrecuidance, de partager virtuellement un civet avec vous, qui n'a pas volé son sort (le lapin, pas vous, suivez un peu).
Rédigé par : Gustave Boulgakov | mardi 15 mai 2012 à 21:34
Dans le genre kafkaïen, la Maison des Artistes c'est pas mal non plus...
Rédigé par : Ruth Abaga | mardi 15 mai 2012 à 23:11